Contes

Retour à Val-d'Or

   Une nuit, le mari s'éveilla; sa femme accoudée le regardait. Il demanda: «Que fais-tu là?» Elle répondit: «Tu es beau, je t'aime.» Le lendemain, au petit jour, elle dormait profondément. Il la secoua, il avait faim. Elle dit:

     — Dors encore; je te ferai à dîner.

   — Et qui ira travailler?

   — Demain, tu iras. Aujourd'hui, reste avec moi. Tu es beau, je t'aime.

   Alors, lui, qui était surtout laid, faillit ne pas aller travailler. Il faisait bon au logis; ses enfants éveillés le regardaient de leurs yeux de biches; il aurait aimé les prendre dans ses bras et les bercer. Mais c'était l'automne; il pensa au prix de la vie; il se rappela les autres enfants, trois ou quatre, peut-être cinq, morts en Abitibi, fameux pays. Et il partit sans déjeuner.

   Le soir, il se hâta de revenir; ce fut pour trouver la maison froide. Sa femme et les enfants avaient passé la journée au lit, sous un amas de couvertures. Il ralluma le feu. Quand la maison fut réchauffée, les enfants se glissèrent en bas du lit. Puis la femme se leva, joyeuse. Elle tenait dans sa main une petite fiole de parfum, achetée quelques années auparavant, une folie si agréable qu'elle l'avait conservée intacte. La fiole elle déboucha, le parfum elle répandit sur la tête de son mari, sur la sienne, sur celle des enfants; et ce fut soir de fête. Seul le mari boudait. Mais durant la nuit il se réveilla; sa femme penchée disait: «Tu es beau, je t'aime.» Alors il céda.

   Le lendemain, il n'alla point travailler ni les jours suivants. Après une semaine, sa provision de bois épuisée, il avait entrepris de démolir un hangar attenant à la maison. Le propriétaire de s'amener, furieux. Cependant, lorsqu'il eut vu de quoi il s'agissait, il se calma. La femme était aussi belle que son mari était laid. Il la sermonna doucement. Il parlait bien, ce propriétaire! Elle aurait voulu qu'il ne s'arrêtât jamais. Il lui enseigna que l'homme a été créé pour travailler et autres balivernes du genre. Elle acquiesçait; que c'était beau, ce qu'il disait! Quand il eut séché sa salive, il lui demanda: «Maintenant, laisseras-tu travailler ton mari?»

   — Non, répondit-elle, je l'aime trop.

   — Mais cette femme est folle, s'écria le propriétaire.

   Le mari n'en était pas sûr. On fit venir des curés, des médecins, des échevins. Tous, ils y allèrent d'un boniment. Ah, qu’ils parlaient bien! La femme aurait voulu qu'ils ne s'arrêtassent jamais, au moins qu'ils parlassent toute la nuit. Seulement quand ils avaient fini, elle disait: «Non, je l'aime trop.» Eux la jugeaient folle. Le mari n'en était pas sûr.

   Un soir, la neige se mit à tomber. La femme qui, depuis leur arrivée à Montréal, n'avait osé sortir, terrifiée par la ville, s'écria:

   — Il neige! Viens, nous irons à Senneterre.

   Et de s'habiller en toute hâte.

   — Mais les enfants? demanda le mari.

   — Ils nous attendront; la Sainte Vierge les gardera. Viens, mon mari, je ne peux plus rester ici.

   Alors il jugea lui-même que sa femme était folle et prit les enfants dans ses bras. Elle était sortie pour l'attendre dans la rue. Il la regarda par la fenêtre. Elle courait en rond devant la porte, puis s'arrêtait, ne pouvant plus attendre.

   — Nous irons à Malartic, criait-elle, nous irons à Val-d’Or!

   Un taxi passait. Elle y monta.