De synthèse

Je suis née entre la publication de L’origine des espèces de Darwin et le moment où Voyager 1 quitte le système solaire, dessinant au passage, dans l’espace-temps, la flèche de l’évolution.

J’ai pris mon premier respir dans une bulle qui enfle en accéléré depuis la fin du dix-neuvième siècle, un maelström électrique bourdonnant de circuits intégrés, de machines et de matières transformées, de bidules à tout faire, une soufflure d’informations, de transmissions, une hypertrophie en forme de champignon, semblable au corps de fumée de la Tsar Bomba quelques secondes après son explosion. Dans l’image de la plus grande détonation de l’histoire du nucléaire, il y a tout le vingtième siècle qui s’élève jusqu’à la lune, puis qui dérape par-delà la Voie lactée, son œil ouvert sur l’origine de l’Univers.

L’époque qui m’a vue naître ressemble à un œilchampignon qui tente de dilater le champ de sa perception pour embrasser à la fois le macrocosme et le microcosme et pour ensuite tout régurgiter par la bouche des médias devant laquelle j’ai été statufiée une bonne partie de mon existence, installée en tailleur, dans la même position depuis l’enfance, à taper des mains devant les dessins animés ou à les joindre contre ma bouche ouverte sur un grand silence, pendant l’effondrement du World Trade Center.

Or, parmi les découvertes, technologies électroniques et autres miracles scientifiques à tout bouleverser depuis deux siècles, c’est avec un masque et une paire de gants que je détermine maintenant l’horizon de mon évolution. Depuis près d’une décennie, je me retrouve chaque jour en réalité virtuelle, face à face avec mon double de pixels, à tenter de prendre corps à travers elle.

J’y étais presque.

Et puis ma mère a commencé à se décomposer.