Halfbreed

Le rôle de Grand-Mère
Une introduction par Kim Anderson, Ph. D.

Nous sommes en 2017, en plein été, et un groupe de femmes sont assises dans la grande pièce ouverte qui sert de salon et de cuisine au cœur de « La Traverse », la maison de Maria Campbell aux abords de la Saskatchewan Sud. Nous sommes plusieurs à penser que nous sommes en pays originel métis, un lieu créé par Maria sur la terre où Gabriel Dumont et son épouse, Madeleine, s’occupaient du Traversier de Gabriel. C’est ici qu’à l’époque de Dumont, on transportait par bac, vers l’autre rive de la Saskatchewan Sud, les charrettes de la rivière Rouge en route vers Batoche et les autres communautés métisses des environs. L’arrière-grand-mère de Maria, sa Cheechum, est venue ici quand elle était enfant et, plus tard, quand Maria était jeune fille, sa famille s’y arrêtait par- fois pour camper et rendre visite aux propriétaires. À l’occasion, son père et ses oncles y lançaient leurs filets de pêche et ils restaient quelques jours pour profiter de la rivière. Maria a acheté la propriété en 1975 – quelques années après la publication de Halfbreed – et, depuis, dirigeants autochtones, conteurs, musiciens, artistes, militants et universitaires se sont croisés ici, en profitant pour échanger et se ressourcer avant de retourner laisser leurs marques dans le monde.

On voit encore les sillons laissés par les roues des charrettes qui descendaient les collines en serpentant vers la rivière, des traces bien familières pour celles parmi nous qui ont passé plusieurs jours assises sur l’autre rive. C’est là que Maria envoie les gens qui jeûnent, et nous sentons aujourd’hui le pouvoir qui émane de ces pistes immémoriales alors que nous venons de terminer notre camp de jeûne d’une semaine. Nous sommes à la fois galvanisées et épui- sées par tout l’effort exigé par les cérémonies et nous sommes prêtes, maintenant, à accueillir les histoires qui doivent suivre.

Maria s’installe enfin à la table de la cuisine à côté de la grosse théière brune toujours pleine. Des tasses traînent un peu partout mais le reste de la vaisselle sèche dans un bac posé sur le poêle à bois, les chaudrons ont été suspendus à leur place sur les murs, celles qui ont jeûné, ainsi que celles qui les ont assistées, sont assises à la table ou sur les divans du côté «salon», entourées d’œuvres d’art. Nous sommes pour la plupart des femmes d’âge mûr, des Métisses et des Autochtones, et quand nous ne sommes pas à La Traverse, nous travaillons en engagement communautaire, en droit, en santé, dans le milieu universitaire, comme sage-femme, en enseignements traditionnels et dans les arts. Nous faisons partie de la famille spirituelle élargie de Maria, celle qui travaille, qui s’entraîne et qui participe aux cérémonies avec elle. Chacune de nous l’a eue comme mentore et, alors qu’elle approche de sa quatre-vingtième année, elle est en train de nous dire qu’elle souhaite se décharger de certaines de ses responsabilités. Nous nous regardons et nous nous rendons vite compte que, bien que nous soyons huit présentes et au moins autant ailleurs au pays, ce sera un immense défi à relever vu l’ampleur et la profondeur de son œuvre.

Voilà le rôle de Grand-Mère qu’occupe Maria alors qu’elle se prépare à lancer cette nouvelle version de Halfbreed plus de quarante-cinq ans après sa première publication. Les lecteurs et lectrices qui se demandent ce qu’est advenu de la jeune femme passionnée qui a écrit Halfbreed ne seront sûrement pas surpris d’apprendre que Maria continue d’œuvrer sans relâche, alimentée par son amour pour son peuple et par un désir inextinguible de justice. C’est une mentore qui travaille avec un vaste éventail de personnes, toujours dans l’esprit du wahkotowin, une toile interconnectée de relations où tout le monde a des responsabilités – car, comme elle l’a souvent dit, «on ne se rend jamais nulle part si on n’emmène pas notre monde avec nous ». Ce sens des responsabilités partagées est intimement lié à l’œuvre de Maria – qui en traduit si bien l’art et l’esprit –, et on peut déceler les fondements de son engagement dans Halfbreed. Ce livre contient tellement d’enseignements qu’on en retire de nouveaux à chaque lecture, mais cette fois, en le lisant, j’ai surtout pensé aux liens entre la Maria du livre et celle que beaucoup d’entre nous connaissons aujourd’hui.