Juicy

Chapitre 1

Comment Alexis Lauren Hortons en arriva à parler des mains de lépreux et à toucher la queue d’un has-been

Je suis la personne la plus gentille de Tacoma, la plus gentille et celle qui a sucé le plus de mecs à la place de leur vendre des barres de chocolat à mille calories la bouchée. Pour pouvoir me rendre jusqu’à la finale de Miss Teen USA, j’ai cuisiné des biscuits aux pépites de chocolat pour le concessionnaire Toyota de mon quartier, j’ai regardé des recettes de savon à la menthe et au thé vert sur Pinterest avant d’en piquer chez Soaptopia pour en offrir à des revues de mode, j’ai envoyé des petites culottes avec des traces de mouille et de menstrues à des firmes d’avocats. J’ai récolté assez d’argent pour une inscription au concours Miss Teen USA, mais aussi pour deux robes imitation Versace, des souliers de sex shop, des produits de maquillage MAC et Benefit, un bikini Pucci, une pédicure ultra-urgente et un abonnement de soixante heures à un salon de bronzage.

J’ai aussi acheté un costume de panda pour mes séances de méditation.

Quand les autres élèves dans mes cours de douzième année ont su que j’allais représenter la Californie dans leur écran télé au mois de janvier, ils m’en ont voulu à mort. Une personne m’a accusée de n’avoir mangé que des clémentines pendant deux mois, comme si c’était aussi grave que d’avoir une tumeur au cerveau, et une pétasse a annoncé que j’avais été sélectionnée juste parce que ma maman avait sucé tous mes commanditaires. C’est juste trop pas vrai. J’ai tout fait moi-même. J’ai cité Germaine Greer sur mon compte Facebook pour contrer les langues sales, L’énergie est l’élément moteur de tout être humain. Les efforts que nous accomplissons ne la dissipent pas mais l’entretiennent car elle a sa source dans la psyché. Elle est pervertie par les entraves et les répressions. J’ai sucé et avalé, puis j’ai cuisiné des biscuits pour ceux qui ne s’étaient jamais branlés en imaginant une fille de dix-sept ans entre leurs jambes. Mon énergie est géniale.

J’ai dix-sept ans et je suce vraiment bien. Je suis encore vierge, mais c’est parce que je suis trop obsédée par Britney Spears. Quand j’avais dix ans, ma maman m’a donné une biographie d’elle dans laquelle j’ai appris que Britney avait promis qu’elle ne baiserait jamais avant le mariage. Elle a viré super cochonne, a récolté la chlamydia dans un jacuzzi, s’est habillée en denim de la tête aux pieds et s’est rasé les cheveux alors qu’elle était paniquée intense. C’est parce qu’elle n’avait pas réussi à garder son hymen pas déchiré et tout. Moi je vais réussir et je n’aurai jamais à subir la honte de ma vie en portant du denim de la tête aux pieds.

Quand je perdrai ma virginité, ce sera le plus beau jour de ma vie. Encore plus que le jour des treize ans de ma meilleure amie, lorsque ma maman m’a permis de porter des extensions capillaires comme Lindsay Lohan. Encore plus que la journée où mon papa m’a promis un appareil orthodontique transparent et un voyage à Cuba si je cessais de fumer des clopes en cachette dans ma garderobe. Encore plus qu’aujourd’hui si je gagne et que je deviens Miss Teen USA.

Ce serait le rêve : pendant un an, je sauverais des vies en serrant la main des pompiers et des lépreux, et après je marierais une rock star, j’aurais un garçon, une fille et un autiste, un poney et plein d’argent.

Tout en me regardant dans un petit miroir datant genre de l’invasion de l’Amérique par Marie-Antoinette, je pense à toutes les rock stars qui pourraient me déflorer. Je demande à ma maman ce qu’elle pense de Drake. Elle ne me répond pas et continue à m’appliquer du fond de teint MAC partout sur le visage.

Dans quarante-quatre minutes, je vais marcher toute nonchalante et fière et parfaite comme Gisele Bündchen devant vingt mille caméras, cinq juges pédés, une ancienne Miss Univers et Gary T-Rex, le chanteur préféré des vieilles de quarante ans. Je suis parfaite, même ma maman le croit, parce que j’ai vraiment arrêté de fumer des clopes dans la garde-robe et parce que je me lave toujours bien les fesses après qu’un vendeur de chez Kitson m’est venu dessus.

— Si tu gagnes ce soir, je te pique ton diadème, chérie.

Je me retourne vers Brittany Huku, une pétasse asiatique aux seins tellement faux qu’ils ressemblent à des igloos sortant de sa robe Karl Lagerfeld. Ma maman ne réagit pas quand je décide de parler avec une voix très sage mais irritée, une voix probablement super semblable à celle de la chanteuse Solange quand elle se fait caresser les cheveux en attendant le métro.

— Moi, je vais écrire aux Nations Unies pour me proposer comme assistante d’Angelina Jolie, je vais voyager partout dans le monde en jet privé et sauver plein de bébés sidéens et leur trouver de meilleures mères en Occident. Et t’inquiète pas, Brittany, je vais aussi découvrir le secret d’un remède puissant contre les poils dans les narines.

Dans la loge, il y a des écrans qui diffusent la soirée en direct. Je fixe l’animateur, un pédé qui ne s’affirme pas. Il raconte les exploits de Miss Idaho, qui a une moyenne du tonnerre à l’école, des cheveux d’anorexique (trop fins et ternes), des bras assez forts pour soulever les sacs d’épicerie de tous les handicapés de son « État » de merde, et un don pour lire dans les lignes de la main.

Brittany Huku gueule encore. Elle dit qu’elle veut un verre d’eau plus froide. Je dis à ma maman que je dois vérifier si je ne suis pas menstrue. Elle repousse une poussière ou du glitter imaginaire sur mon épaule et s’assure que je ne reste pas longtemps dans les toilettes.

— Il est trop tard pour te faire vomir.

Je croise des mamans et des filles en tutus, avec des tatouages camouflés par du fond de teint cheap, et je vais me crosser à la salle de bain. Je me coince le clito entre deux doigts. J’ai besoin de me détendre. Je me trouve à chier. Je suis trop laide pour être ici. Je veux dire, je suis superbe, vraiment, plus belle et gentille que toutes les filles de Tacoma, mais j’ai un front trop long. Mon coiffeur l’atténue avec une frange. Je rentre deux doigts dans ma chatte pour oublier mon cul pas assez ferme malgré mes quatre séances de yoga chaud par semaine. Je vais avoir plein de mouille sous mes ongles vernis de rose pâle. Je sors de ma chatte un mini sachet de crystal meth et j’aspire la poudre. Je suis superbe. Je le suis vraiment. Ce n’est pas ma faute si j’ai un front trop long.

À Tacoma, mon front trop long ne compte pas. Je porte les souliers à talons que mes parents me paient et tous les t-shirts à message de Forever 21 que la moitié des filles portent à mon école. J’ai un petit copain trois fois par année et je bois juste de la Light Margarita, sans jamais être malade sauf en privé, quand je m’enfonce des doigts dans la bouche parce que la pizza à l’ananas, après trop de Light Margarita, c’est dangereux pour ma survie. J’ai des amies à Tacoma, des amies qui likent mes statuts Facebook et qui me prennent dans leurs bras quand j’ai une mauvaise note à un examen de mathématiques, mais ici, en studio, avec toutes les représentantes des cinquante-quatre États américains, je n’ai pas d’amies, que des pétasses à qui je voudrais lancer des cactus enflammés.