Les grandes fatigues

DANSE DES PIERRES I

Dans ce pays, les habitants font tous l’expérience de situations embêtantes similaires, bien familières, qui les traversent de manière régulière mais banale, et dont ils tâchent de tirer profit le temps que ça passe. Ainsi en est-il de ce qu’ils nomment la solitude, la fatigue ou encore l’ennui. Or, parfois, ils ont beau faire, ces choses reviennent inlassablement les visiter et les accabler. La fatigue, par exemple, au lieu de s’estomper et de réapparaître en cycles concis, devient une charge qui persiste dans le temps, multiplie ses occurrences et se manifeste de plus en plus fortement et de manière rapprochée, comme les vagues en rafale d’une mer puissante qui ne laisse pas le temps de reprendre souffle. C’est alors que cette mer les pétrit, les étire, les triture, les creuse, les sculpte et les transforme au point qu’au bout d’un moment, on ne les reconnaît plus très bien. Dans un siècle fatigué, ils ont appris à danser une valse intime avec cette compagne étrange qui à la fois massacre et déplie. Ils sont devenus des cavaliers très souples, bien ronds, aux formes aplaties, à la peau détruite et douce. On pense en les regardant à du verre de mer, ou à des cailloux qui roulent dans le ressac puis se déposent enfin sur la grève, une fois retournés mille fois.